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« Traduction rigoureuse » et « caractère de classe de la littérature »

I

J'ai entendu dire que des membres du cénacle du mensuel Croissant de lune affirment que leurs ventes augmentent. C'est fort probable. Même moi, avec le peu de relations que j'ai, j'ai vu des jeunes gens ayant entre les mains le double numéro 6-7 du volume II. Je me suis aperçu, en le feuilletant, que la plus grande partie en est consacrée à des articles sur « la liberté d'expression » et à des nouvelles. Mais vers la fin se trouve un papier de M. Liang Shiqiu intitulé « Sur la “traduction rigoureuse” de M. Lu Xun », qu'il considère « voisine de la traduction littérale ». « Cette mode de la traduction littérale ne doit pas être encouragée », dit-il. Il cite trois passages que j'ai traduits, de même que la note dont j'ai fait suivre Art et critique :

En raison de mes insuffisances en tant que traducteur et des carences de la langue chinoise, j'estime, après l'avoir parcourue, que ma traduction est obscure et inégale, et en bien des endroits difficiles à saisir. Elle perdrait cependant beaucoup de sa saveur originale si j'en retranchais les redondances. Il me faut, pour ce qui me concerne, soit continuer à donner des traductions rigoureuses, soit à ne pas en donner du tout. Je ne puis qu'espérer les lecteurs prêts à faire l'effort nécessaire pour les lire.

M. Liang Shiqiu souligne soigneusement ce passage avec des cercles, « traduction rigoureuse » recevant des doubles cercles, et puis énonce « solennellement » la « critique » que voici : « Nous avons “fait un effort pour le lire”, en pure perte. Y a-t-il une différence entre “traduction rigoureuse” et “traduction littérale” ? »

Le Croissant de lune nie qu'il soit organisé et ses articles paraissent exprimer de la haine pour les « organisations » et les « cénacles » prolétariens, mais, en fait, il est organisé. Pour le moins, tous les articles politiques de ce numéro s'épaulent, vont dans un même sens. Question habileté, l'article est imprimé à la suite d'un autre, de ce même critique, intitulé « La littérature a-t-elle un caractère de classe ? » Nous y lisons :

Il est néanmoins fort malheureux que je ne parvienne pas à comprendre un seul de ces livres... Le plus pénible, c'est la langue... c'est plus dur que de lire quelque formule divine... Jusqu'ici, pas un seul Chinois ne nous a expliqué dans une langue que les Chinois comprennent, ce qu'il en est exactement de la théorie de la littérature prolétarienne.

Ces mots sont également soulignés par des cercles, mais je me suis permis de ne pas les indiquer, afin d'alléger le travail des typographes. Au fond, M. Liang se prend pour le représentant des Chinois dans leur ensemble. S'il ne peut comprendre ces livres, aucun Chinois ne le peut, ils devraient donc disparaître de la surface de la Chine, et c'est pour cela qu'il fait remarquer que « cette mode... ne doit pas être encouragée ».

Je ne représente pas tous les traducteurs de « formules divines », je parle en mon nom personnel, mais je doute que l'affaire soit aussi simple. Tout d'abord, M. Liang estime qu'il a fait « un effort pour le lire ». L'a-t-il vraiment fait ? Est-il capable de le faire ? Voilà une première question. Une caractéristique du Cercle Croissant de lune, c'est sa façon de se vanter d'être dur, alors qu'il est mou comme du coton. En second lieu, même si M. Liang s'offre à représenter toute la Chine, est-il vraiment le meilleur des Chinois ? Voilà une autre question. Les réponses se trouvent dans son article « La littérature a-t-elle un caractère de classe ? » Nul besoin de transcrire phonétiquement « prolétariat » lorsqu'on peut en traduire la signification, et ce critique déclare néanmoins :

Si nous consultons le dictionnaire, le mot a un sens vraiment peu digne, car selon le gros Webster Dictionary « prolétariat » signifie « un citoyen de la basse classe qui ne rendait pas service à l'Etat avec des biens, mais seulement en ayant des enfants... » (Tout au moins à l'époque romaine !).

En réalité, inutile de discuter de ce qui est « digne », car, assurément, quiconque ayant un peu de bon sens ne confondrait pas les temps présents avec l'époque romaine, ou n'imaginerait que les prolétaires actuels sont semblables aux anciens Romains. A supposer que nous transcrivions phonétiquement « chimie », les lecteurs ne la confondraient pas avec l'alchimie de l'Egypte ancienne. Je ne songerais pas à étudier l'étymologie du nom de M. Liang en relation avec ses écrits, ni à m'étonner qu'une « passerelle d'un seul tenant » [1] puisse écrire. Même « en consultant le dictionnaire » (le gros Webster Dictionary !), ce serait encore « en pure perte ». Je doute que cela soit vrai pour tous les Chinois.

II

Ce qui m'intéresse le plus, c'est le passage déjà cité de l'article de M. Liang, celui où il utilise à deux reprises l'expression « nous », si évocatrice pour un groupe ou un clan. Si l'écrivain manie la plume dans la solitude, il va de soi que ses vues sont partagées par certains. Il a donc raison d'utiliser le « nous », cela a plus de résonance et il n'a pas à endosser l'entière responsabilité. Mais « avant que tous ne parviennent à penser de la même façon », à une époque où « il devrait y avoir liberté d'expression », il y a un « écueil » du genre de ceux que M. Liang critique dans la société capitaliste. Oui, l'existence de « nous » suppose qu'il y a également « eux ». Ainsi, quoique « nous », du Cercle Croissant de lune, nous pensions que « cette mode de la traduction littérale ne doit pas être encouragée », il y en a d'autres qui n'estiment pas qu'ils ont lu « en pure perte ». Ils maintiennent ma « traduction stricte » en vie, qui est plutôt différente de la « traduction littérale ».

Je suis un des « eux » du Cercle Croissant de lune, parce que mes traductions ne répondent en rien aux exigences de M. Liang.

Son texte « Sur la traduction rigoureuse » commence par une déclaration au sujet des traductions infidèles qui valent mieux que les littérales.

Il n'est pas possible qu'une traduction soit totalement faussée... Les passages infidèles comportent des erreurs, mais ils apportent quelque chose au lecteur. Cela reste agréable à lire même si l'inexactitude nuit au plus haut point au texte.

Les deux dernières phrases devraient être soulignées par de doubles cercles, si je tenais à ce genre de choses. Mais au lieu de traduire en vue d'être « agréable » aux gens, j'essaie souvent de les mettre mal à l'aise, voire de les irriter, de les rendre furieux et acerbes. Les seuls sujets de lecture « agréables » sont ceux écrits par les traducteurs et les auteurs du Cercle Croissant de lune ! Les poèmes de M. Xu Zhimo, les contes de Shen Congwen et Ling Shuhua, les propos futiles de M. Chen Yuan, les critiques de M. Liang Shiqiu, l'eugénisme de M. Pan Guangdan et l'humanisme de M. Babbitt.

M. Liang poursuit en disant : « La lecture de tels livres ressemble à celle d'une carte géographique, il faut y suivre son chemin avec le doigt, à travers la syntaxe. » Là, c'est, à mon avis, absurde, du radotage pur et simple. Je conviens que « lire de tels livres » est comme lire une carte, qu'il faut suivre son chemin avec le doigt, à travers la syntaxe. Encore que lire des cartes ne soit pas aussi « agréable » que regarder les illustrations de « Dame Yang sortant du bain » ou de « Nos trois amis de l'hiver » et que vous pourriez avoir à utiliser le doigt (en fait, je suppose que cela ne s'applique qu'à M. Liang, car ceux qui ont l'habitude des cartes se servent plutôt de leurs yeux), il n'en reste pas moins que la carte n'est pas une représentation littérale. Donc, si le même effort est exigé d'une traduction rigoureuse, c'est qu'elle diffère aussi quelque peu de la traduction littérale. Ceux qui savent lire A B C et qui se prennent pour de nouveaux lettrés peuvent fort bien ignorer les formules chimiques. Ceux qui savent se servir du boulier et qui se prennent pour des mathématiciens peuvent fort bien ne rien comprendre aux calculs établis sur du papier. Dans le monde d'aujourd'hui, les études dans un domaine donné ne vous confèrent pas l'omniscience.

M. Liang donne ensuite trois passages de ma traduction en guise d'exemples, alors que visiblement « tirés de leur contexte, ils ne peuvent être très compréhensibles ». Et c'est d'un même artifice qu'il use dans son « La littérature a-t-elle un caractère de classe ? », en basant son jugement d'ensemble sur deux poèmes traduits. « Peut-être qu'aucune grande littérature du prolétariat n'est encore née, dans ce cas, je suis prêt à attendre », dit-il. De telles astuces sont « agréables », il est vrai, mais laissez-moi citer un passage de ce numéro du Croissant de lune – il s'agit de création ! –, page 8, « Déménagement ».

« Le poulet a-t-il des oreilles ? »

« Jamais je n'en ai vu qui en avait. »

« Comment m'entend-il donc quand je l'appelle ? »

Elle pensait à ce que Quatrième tante lui avait dit deux jours plus tôt au sujet des oreilles faites pour entendre et des yeux faits pour voir.

– « Et cet œuf donnera-t-il un poulet blanc ou un poulet noir ? »

Comme Quatrième tante ne répondait pas, Zhi'er se leva et caressa un œuf.

« On ne peut pas encore le dire. Attends que le poussin éclose. »

« Wan'er dit que les poussins deviennent des poules. Ces poussins-ci en deviendront-ils aussi ? »

« Si tu les nourris convenablement. Ce poussin-ci n'était pas aussi gros quand nous l'avons acheté. »

Suffit. La langue est compréhensible et nul besoin de tracer son chemin avec le doigt, à travers la syntaxe, mais je ne suis pas « prêt à attendre ». Rien d'« agréable » dans ce passage. Il y a vraiment peu de différence entre cela et l'absence d'écriture.

Finalement, M. Liang soulève un problème :

Le chinois ne ressemble pas aux autres langues, ce qui rend la traduction difficile. Si la grammaire, la syntaxe et le vocabulaire de deux langues étaient identiques, la question de traduction ne se poserait plus... Si l'intelligibilité était notre premier critère, il n'y aurait aucun mal à intervertir l'ordre des phrases, parce que « faire un effort »n'a rien de gai, et il est douteux qu'une « traduction rigoureuse » puisse préserver « la saveur de l'original ». Ce serait certainement un miracle si elle pouvait le faire et nous ne pourrions accuser la langue chinoise d'avoir des « carences ».

Je ne suis pas fou au point de rechercher une langue étrangère qui ressemblerait au chinois, ou d'espérer que « la grammaire, la syntaxe et le vocabulaire soient identiques ». Mais je crois que, relativement, il est plus facile de traduire des langues qui ont une grammaire compliquée, ou de traduire d'une langue qui est apparentée à la vôtre, encore que cela demande une certaine élaboration. Pouvons-nous dire qu'il n'y a aucun effort à fournir pour traduire du néerlandais en allemand ou du russe en polonais ? Le japonais est très différent de l'ensemble des langues européennes, mais il acquiert petit à petit de nouvelles formes d'expression, ce qui fait qu'il est plus facile de nos jours de le traduire, sans perdre la saveur de l'original, que le japonais classique. Pour commencer, il vous faut évidemment « frayer votre chemin à travers la syntaxe », ce qui est loin d'être « agréable » pour certains. Mais une fois l'habitude prise, vous assimilez ces expressions à la langue qui vous est propre. La grammaire chinoise est même plus pauvre encore que celle du japonais classique, mais elle a aussi subi des changements. Ainsi, la langue des Mémoires historiques de Sima Qian et celle de l' Histoire des Han [2] diffère beaucoup de celle des Annales historiques , et notre langue courante actuelle diffère de nouveau. Il y a eu des ajoutes et des innovations comme dans les traductions des écrits bouddhiques sous la dynastie des Tang ou la traduction des édits impériaux sous la dynastie des Yuan. A l'époque, une bonne partie des « grammaire, syntaxe et vocabulaire » tenait de la nouveauté ; mais dès que les hommes s'y furent habitués, ils comprirent, sans avoir à suivre les mots avec leurs doigts. Et aujourd'hui où nous avons affaire à des « langues étrangères », des constructions nouvelles pourraient nous être nécessaires, qui, pour le dire tout net, doivent être acquises par le canal de la « traduction rigoureuse ». D'après mon expérience, la saveur de l'original est mieux conservée par cette méthode que par le réarrangement des phrases ; mais le chinois présente des carences, parce qu'il en est encore à attendre des constructions nouvelles. Rien de « miraculeux » à cela. Il n'est évidemment pas « gai » pour certains d'avoir à « suivre avec le doigt » ou à « faire un effort ». Mais mon intention n'était nullement d'être « agréable » à ces messieurs ou de les rendre « gais ». Si des lecteurs tirent profit de mes traductions, peu m'importe qu'elles plaisent ou non à M. Liang et à ses semblables.

Il ne ressent aucun besoin de chercher de l'aide dans la théorie littéraire du prolétariat, mais il demeure embrouillé sur bien des points. Il dit par exemple que « les œuvres traduites par M. Lu Xun il y a quelques années, telles les Symboles de la misère de Hakuson Kuriyagawa, n'étaient pas inintelligibles. Mais son style semble avoir changé dernièrement ». Quiconque a un peu de bon sens sait que « le chinois ne ressemble pas aux autres langues », et que le « style » et la « syntaxe » varient dans toutes les langues avec l'écrivain. Les phrases peuvent être compliquées ou simples, le vocabulaire peut être courant ou spécialisé ; vous ne trouverez jamais tous les écrits d'une même langue également faciles à comprendre. J'ai traduit Symboles de la misère selon les principes que j'applique aujourd'hui, phrase après phrase, parfois même mot à mot. Si M. Liang Shiqiu l'a vraiment trouvé intelligible, c'est que l'original était facile à comprendre et que M. Liang Shiqiu est un critique chinois moderne ; et aussi parce qu'il était passablement habitué aux constructions nouvelles que j'utilisais. Le lettré d'un village minuscule, qui ne lirait que du chinois ancien, le trouverait plus difficile qu'une « formule divine ».

III

Mais ces traductions de critique littéraire prolétarienne, « plus difficiles qu'une formule divine », ont fort impressionné M. Liang. Il peut sembler drôle qu'il ait été influencé par quelque chose qu'il ne peut comprendre, et pourtant tel est le cas. Ce critique écrit dans « La littérature a-t-elle un caractère de classe ? » : « Pour la critique que je fais actuellement de la prétendue théorie littéraire du prolétariat, je ne puis juger que par les quelques écrits que je parviens à comprendre. » En d'autres termes, sa connaissance de cette théorie est loin d'être complète.

Nous (j'inclus tous les traducteurs de « formules divines », d'où le pluriel) ne sommes que partiellement responsables de ce crime. Le critique est également à blâmer, pour sa bêtise ou sa paresse. Je ne suis pas au courant pour les livres « de Lounatcharsky et de Plékhanov », mais il y a des traductions anglaises de trois essais « de Bogdanov et des autres » et de la moitié de Littérature et révolution de Trotski. Etant donné qu'il n'existe pas de « M. Lu Xun » en Angleterre, la traduction doit être tout à fait intelligible. Et puisque M. Liang a exprimé courageusement qu'il était prêt « à attendre » patiemment les productions d'une grande littérature du prolétariat, pourquoi n'a-t-il pas attendu un peu avant de juger, afin de lire de la théorie ? Le sot ne part pas à la recherche d'une chose, puisqu'il en ignore l'existence, tandis que le paresseux ne cherche pas, tout en sachant que la chose existe. Il peut éprouver un certain « agrément » en demeurant tranquillement assis. Mais il risque d'avaler de l'air froid s'il lui arrive d'ouvrir la bouche.

Voyez, par exemple, le sublime essai « La littérature a-t-elle un caractère de classe ? » qui conclut qu'elle n'en a pas. J'estime que les meilleures tentatives faites pour éliminer son caractère de classe sont « Marx et Parx », l'œuvre savante de M. Wu Zhihui, et « Une classe, ça n'existe pas » d'un autre monsieur respectable. Que les petits oiseaux cessent donc de piailler et le monde sera en paix. Mais, empoisonné par le marxisme en question, M. Liang admet que le système capitaliste existe en de nombreux endroits et qu'il se trouve des prolétaires vivant sous ce système. Cependant, il dit qu'« au départ, les prolétaires n'avaient pas de conscience de classe. Ce sont quelques dirigeants leur portant une sympathie excessive et aux idées radicales qui leur ont enseigné à prendre conscience en tant que classe », pour les unir au plus vite et éveiller leur esprit combatif. C'est juste, et je crois que leurs professeurs devaient être mus non par un excès de sympathie, mais par le désir de changer le monde. Par ailleurs, « quelque chose qui n'existe pas » peut difficilement avoir une conscience ou être éveillé. Si cela se produit, preuve est faite que cela existe. Et quelque chose qui existe ne peut longtemps demeurer caché, tout comme, au début, Galilée avec son affirmation que la terre tourne et Darwin avec sa théorie de l'évolution furent, ou presque brûlé par les hommes de religion, ou férocement attaqué par les conservateurs, et cependant, aujourd'hui, personne ne trouve rien d'étrange à leur enseignement, parce que la terre tourne vraiment et que ce qui vit évolue. Admettre qu'une chose existe et en cacher l'existence exige un talent tout particulier.

Mais M. Liang a sa méthode à lui pour éliminer les conflits, car il croit comme Rousseau que « la propriété est le fondement de la civilisation ». « C'est pour cela, affirme-t-il, qu'attaquer le système capitaliste équivaut à attaquer la civilisation. » « Si un prolétaire méritant travaille dur pendant toute sa vie, il doit pouvoir acquérir un bien appréciable. C'est la bonne manière de lutter dans la vie. » A mon avis, Rousseau, qui vivait il y a cent cinquante ans, a difficilement pu penser que toute la culture du passé et de l'avenir reposait sur la propriété. (Il aurait évidemment eu raison s'il avait dit que les rapports économiques en étaient le fondement.) La Grèce et l'Inde ont eu de grandes civilisations, il était sensé le savoir, leurs époques les plus brillantes ne furent pas celles de la société bourgeoise. Et s'il ne le savait pas, c'était une erreur de sa part. Quant à la bonne manière par laquelle les prolétaires accéderaient péniblement à la classe possédante, c'est ce que de vieux messieurs riches avaient l'habitude en Chine d'enseigner aux pauvres ouvriers quand ils étaient dans leurs bons jours. Il y a, en effet, beaucoup de prolétaires qui, par un travail « dur et honnête », veulent monter d'un échelon dans l'échelle sociale. Mais c'était encore à l'époque où personne ne leur avait enseigné « à prendre conscience d'eux-mêmes en tant que classe ». Car dès qu'ils l'auront appris, ils ne se contenteront plus de gravir les échelons, chacun de son côté, et M. Liang le dit à juste titre :

Ils forment une classe, ils veulent leur propre organisation, ils constituent un seul groupement, alors ils ne se contenteront pas de suivre les sentiers battus, ils se dresseront pour saisir le pouvoir politique et économique, pour devenir la classe dominante.

Mais reste-t-il des prolétaires qui désirent encore « travailler dur et honnêtement pendant toute leur vie, jusqu'à ce qu'ils puissent acquérir quelque bien appréciable ? » Il y en a, bien sûr, mais ils devraient être rangés parmi les « propriétaires encore démunis ». Le conseil de M. Liang sera si violemment rejeté par les prolétaires qu'il ne lui restera qu'à procéder à des échanges de politesse avec les vieux messieurs.

Que nous réserve donc l'avenir ? M. Liang ne voit aucune raison de s'alarmer. Car « ces temps révolutionnaires ne peuvent durer, et la sélection naturelle se verra confirmée par un processus évolutif naturel, quand les plus compétents et les plus intelligents occuperont les meilleures places, et que les prolétaires resteront des prolétaires ». Le prolétariat comprend sans aucun doute, lui aussi, que « les forces barbares seront tôt ou tard vaincues par les forces de la civilisation », et il « édifiera une culture dite prolétarienne... qui englobera les arts et la science ».

Nous en arrivons à notre sujet principal, la critique littéraire.

IV

Premièrement, M. Liang estime que l'erreur fondamentale de la théorie prolétarienne de la littérature, c'est d'« enchaîner la littérature à la classe », parce que si capitaliste et ouvrier diffèrent, ils ont aussi des traits communs. Leur « nature humaine » (des cercles mettent ces mots en valeur)« est la même ». Par exemple, tous deux connaissent la joie et la colère, tous deux connaissent l'amour (nous parlons ici de « l'amour proprement dit, non des manières d'aimer »). « La littérature est l'art qui exprime cette nature humaine dans ce qu'elle a d'essentiel. » Ces remarques se contredisent et sont dépourvues de sens. Si la propriété est le fondement de la culture et si les plus « méritants » des pauvres s'efforcent au maximum de faire leur chemin en ce monde, l'ascension sociale doit être le but primordial de la vie et les hommes riches doivent être la gloire suprême de l'humanité. Il suffirait donc que la littérature dépeigne uniquement la bourgeoisie – et pourquoi cette « sympathie excessive » ? Pourquoi englober les prolétaires appelés à disparaître ? De toute façon, comment dépeint-on la « nature humaine » en soi ? Par exemple, toutes les substances chimiques, simples ou composées, ont des affinités d'ordre chimique ; toute matière physique a un certain degré de consistance, mais pour faire ressortir ces qualités, il faut que deux substances soient utilisées. Il n'existe aucune méthode magique pour révéler les affinités chimiques ou le degré de consistance « en soi » sans le recours à la matière. Et le phénomène varie selon la matière. La littérature sans personnages humains ne peut pas non plus révéler la « nature » des hommes. Mais dès que vous recourez à des personnages, et ils sont situés dans une société de classes, vous ne pouvez éviter le caractère inhérent à leur classe. Il n'est pas question de leur imposer des « liens » de classes, il s'agit de quelque chose d'irrémédiable. Evidemment, la nature humaine connaît la joie et la colère, mais les pauvres ne connaissent pas le souci qu'occasionnent les pertes d'argent à la Bourse, et un magnat du pétrole ne connaîtra jamais les épreuves d'une vieille femme à la recherche d'escarbilles dans Beiping. Les victimes de la famine ne cultiveraient pas, me semble-t-il, des orchidées à l'instar des riches et vieux messieurs, et Jiao Da de la famille Jia ne tombera pas amoureux de Mlle Lin [3] . « O sifflet à vapeur ! O Lénine ! » n'est pas de la littérature prolétarienne, mais écrire « Toutes les choses ! Tous les hommes ! » « Chacun se réjouit quand la joie est là ! » ne témoigne pas davantage de la « nature humaine » en soi. Si nous tenons pour supérieure la littérature qui dépeint le plus bas dénominateur commun de la nature humaine, alors décrire les fonctions animales fondamentales – manger, respirer, se mouvoir, procréer – doit être très supérieur. Le plus supérieur serait la littérature qui supprimerait le mouvement et se contenterait de décrire les fonctions naturelles. S'il est dit que nous devons décrire la nature humaine parce que nous sommes des hommes, alors les prolétaires doivent produire de la littérature prolétarienne parce qu'ils forment le prolétariat.

M. Liang affirme ensuite que la classe sociale d'un écrivain n'affecte en rien ce qu'il écrit. Tolstoï appartenait à la noblesse, il sympathisait néanmoins avec les pauvres, mais ne préconisait pas la lutte de classe. Marx n'était certainement pas un membre du prolétariat, et le Dr Johnson, qui fut pauvre jusqu'à la fin de sa vie, s'exprimait et se comportait bien plus comme un noble que les nobles eux-mêmes. Aussi pour juger d'une œuvre littéraire, faut-il la lire, au lieu de se laisser influencer par la situation et la classe sociales de l'auteur.

Ces exemples ne suffisent nullement à prouver que la littérature n'a pas de caractère de classe. C'est précisément parce que Tolstoï était un noble qui n'avait pas perdu toutes ses vieilles attaches qu'il se contentait de sympathiser avec les pauvres, sans préconiser la lutte de classe. Marx ne venait certainement pas du prolétariat, mais comme il n'écrivit pas d'œuvres littéraires, nous ne pouvons supposer, en aurait-il fait, qu'il aurait à coup sûr décrit l'amour en soi plutôt que la façon d'aimer. Quant au Dr Johnson, qui fut pauvre jusqu'à la fin de sa vie, mais s'exprimait et se comportait de telle manière qu'un roi n'aurait pas su mieux faire, je ne puis expliquer son attitude, car je connais trop peu la littérature anglaise et sa vie. Peut-être son idée était-elle de « travailler dur et honnêtement pendant toute sa vie, jusqu'à ce qu'il puisse acquérir quelque bien appréciable », et s'élever ensuite jusqu'à la noblesse. Mais « voué à la disparition », il n'acquit même pas de biens. Il ne put qu'adopter des attitudes pour son propre « agrément ».

M. Liang dit ensuite : « Les grandes œuvres appartiennent invariablement à une minorité. La majorité sera toujours stupide, toujours étrangère à la littérature. » Mais le goût ou l'absence de goût n'a rien à voir avec la classe, parce qu'« apprécier la littérature est un don de naissance ». Très précisément, donc, même dans le prolétariat, il peut y avoir des hommes qui ont ce « don ». Pour autant que je puisse en juger, un homme ayant ce don peut être trop pauvre pour fréquenter l'école et incapable de lire un seul mot, mais il apprécierait le mensuel Croissant de lune , faisant par là la preuve que la « nature humaine » et l'art en soi n'ont pas de caractère de classe. M. Liang, qui sait qu'il n'y a pas beaucoup de prolétaires ayant reçu ce don inné en partage, a choisi autre chose (l'art ?) pour eux : « Les opéras populaires, par exemple, les films, les romans policiers, etc. », parce que « la plupart des ouvriers et des paysans ont besoin d'amusement et d'un peu de divertissement artistique ». Il semble qu'envisagée ainsi, la littérature varie de classe à classe, mais qu'elle est déterminée par le goût des hommes, dont le développement n'a rien à voir avec l'argent, et qui est tout juste un « don de naissance ». Les écrivains ont donc à écrire en toute liberté. Ils n'ont pas à rédiger des essais chantant leurs royaux ou nobles protecteurs, ni à se laisser intimider par le prolétariat. Très bien ! Mais nous n'avons vu nulle part dans la théorie prolétarienne de la littérature qu'il est dit des écrivains qu'ils ne doivent pas être soutenus par de royaux ou nobles protecteurs, mais doivent se laisser intimider par la classe ouvrière, pour écrire à la gloire des uns ou des autres. Tout ce qu'elle affirme, c'est que la littérature a un caractère de classe, et que, quoique les écrivains vivant dans une société de classes se considèrent comme « libres » et au-dessus des classes, ils subissent inévitablement et inconsciemment le contrôle des idées de leur classe ; par conséquent, ce qu'ils écrivent ne participe pas de la culture d'une quelconque autre classe. Pour la chose en question, prenons l'article de M. Liang, qui cherche à éliminer le caractère de classe de la littérature et à répandre la vérité. Nous voyons du premier coup que ce point de vue sur la propriété, fondement de la culture, et les pauvres, une lie vouée à la disparition, est l'« arme », je veux dire le raisonnement, de la bourgeoisie. Les critiques littéraires prolétariens sont persuadés que ceux qui prônent la théorie de la littérature de « toute l'humanité », « transcendant les classes », aident les classes possédantes, et nous en avons indubitablement la preuve ici. Quant à ceux qui, comme M. Cheng Fangwu, disent : « Ils sont destinés à triompher, allons donc les guider et les encourager », après avoir dit « allons », ils « les » accompagnent, « les » étant les écrivains prolétariens autres qu'eux-mêmes. De toute évidence, il partage l'erreur de M. Liang, qui déforme la théorie prolétarienne de la littérature afin qu'elle lui convienne.

Puis, ce que M. Liang déteste le plus, c'est la manière des critiques littéraires prolétariens de considérer l'art comme une arme dans la lutte, comme de la propagande. Il « ne désapprouve personne qui use de l'écriture pour parvenir à quelque autre but », mais il « ne peut admettre que pareille propagande soit de la littérature ». A mon avis, il se fait du souci pour rien. A en juger par ce que j'ai lu de cette théorie, elle dit tout au plus que tous les arts sont destinés à propager quelque chose, et personne ne prétend que la propagande est nécessairement de la littérature. Il est vrai qu'au cours des deux dernières années, un grand nombre de poèmes et de nouvelles entrelardés de mots d'ordre ont été estimés comme étant de la littérature prolétarienne chinoise. Mais s'il fut fait appel à des mots d'ordre pour exprimer la « modernité », c'est parce qu'il n'y avait rien là de prolétaire, ni en fait de contenu ni de la forme. Ce n'est donc pas de l'authentique littérature prolétarienne. M. Qian Xingcun, le « critique littéraire prolétarien » bien connu, a cité cette année Lounatcharsky dans sa revue Le Pionnier , afin de défendre la « littérature révolutionnaire », donnant ainsi l'impression que puisque Lounatcharsky prônait la littérature que les masses pouvaient comprendre, cela montrait que personne ne devrait désapprouver les mots d'ordre. Mais à mon avis il a, consciemment ou non, déformé la vérité, tout autant que l'a fait M. Liang Shiqiu. Quand Lounatcharsky parle de littérature que les masses peuvent comprendre, il songe aux brochures que Tolstoï imprimait et distribuait aux paysans ; celui-ci utilisait des chansons et des plaisanteries dans une langue que les ouvriers et les paysans pouvaient aisément comprendre. Le fait que Demian Biédny, qui a reçu l'ordre du Drapeau rouge pour ses poèmes, ne recourt pas aux mots d'ordre dans sa poésie doit nous éclairer entièrement.

Enfin, M. Liang veut juger la marchandise. C'est effectivement la démarche la plus réaliste ; mais il n'est pas juste de ne présenter au public que deux poèmes traduits. Le Croissant de lune a publié un jour un article intitulé « Des difficultés de la traduction » et ces difficultés sont avant tout inhérentes aux poèmes. Si j'en juge par mes lectures, la Chine, au cours des onze dernières années, n'a pas produit d'œuvres comparables à Don Quichotte libéré de Lounatcharsky, La Défaite de Fadéiev ou Ciment de Gladkov. J'affirme cela à propos de groupements comme le Cercle Croissant de lune qui, embusqué dans le crépuscule de la culture bourgeoise, défend les écrivains bourgeois avec tant de zèle. Je ne puis citer non plus d'œuvres vraiment réussies de ceux qui se prennent pour des écrivains prolétariens. Mais M. Qian Xingcun, dans sa plaidoirie, avait expliqué qu'une classe montante est naturellement infantile et naïve dans ses écrits, et que seuls les « bourgeois » hostiles exigeraient d'elle de belles œuvres surle-champ. C'est valable pour autant que cela concerne les ouvriers et les paysans : l'exigence est aussi déraisonnable que de demander à quelqu'un qui a longtemps souffert le froid et la faim pourquoi il n'est pas aussi gras qu'un millionnaire. Mais aucun des écrivains chinois ne compte parmi ceux qui viennent de déposer leur outil. Le plus grand nombre d'entre eux sont de loin des intellectuels et certains ont longtemps été des célébrités. Devons-nous croire que même le talent d'écrivain qu'ils avaient vient à disparaître lorsqu'ils surmontent leurs conceptions petites-bourgeoises ? Ce n'est pas possible. Les vieux écrivains russes Alekseï Tolstoï, V. Veressaïev et N. Prichvine continuent à produire de belles œuvres. La mauvaise habitude qu'ont les écrivains chinois d'utiliser des mots d'ordre que les faits ne viennent pas confirmer, provient non pas de ce qu'ils voient « l'art en tant qu'instrument de la lutte de classe », mais de ce qu'ils « utilisent la lutte de classe comme une arme dans l'art ». Beaucoup de cabotins se sont groupés sous l'étendard de « la littérature prolétarienne ». Si vous jetez un coup d'œil sur les bulletins littéraires de l'année dernière, tous les livres décrits sont pratiquement qualifiés de révolutionnaires. Les critiques se servent de leur plaidoirie pour « liquider » l'opposition. Et puisqu'ils placent la littérature sous l'aile de « la lutte de classe », les écrivains euxmêmes n'ont pas à faire d'efforts, et leurs œuvres ont peu de choses à voir avec la littérature ou avec la révolution.

Mais il est clair que les conditions actuelles en Chine ne contestent pas la montée de la littérature prolétarienne. M. Liang le sait, et c'est pour cela qu'il finit par admettre que :

Si les révolutionnaires prolétariens insistent pour appeler leur propagande de la littérature prolétarienne, il nous faut la considérer comme une nouvelle forme d'écriture, un nouvel accomplissement de la littérature. Inutile pour eux de crier « A bas la littérature bourgeoise ! » afin de séduire le monde des lettres, car il est assez grand pour faire de la place à ce qui est neuf.

Cela me rappelle le mot d'ordre : « Que la Chine et le Japon soient amis, qu'ils prospèrent côte à côte ! » Aux yeux du jeune prolétariat, cela équivaut à de la duperie. Je crains qu'il y ait encore des écrivains prolétariens qui soient d'accord avec lui, mais ce sont les « prolétaires » dont M. Liang dit qu'ils ont du mérite, qui veulent accéder à la bourgeoisie. Ce qu'ils écrivent ressemble aux lamentations des pauvres lettrés qui allaient subir les examens impériaux ; mais dès le départ, durant leur ascension et après, ils ne produisent rien en fait de littérature prolétarienne. Celle-ci fait partie intégrante du combat des ouvriers pour la libération de leur classe et des autres classes. Ils veulent occuper la place tout entière et non un coin. Comparons-les à nos critiques littéraires. Si nous plaçons deux fauteuils dans le « grand édifice humaniste de l'art » (pour emprunter l'expression à M. Cheng Fangwu), et demandons à M. Liang Shiqiu et M. Qian Xingcun de s'y asseoir côte à côte, l'un avec le Croissant de lune dans la main droite, l'autre avec le Soleil dans la main gauche, ils constitueront un bon exemple, joliment assorti, du couple « travail et capital ».

V

Permettez-moi d'en revenir à ma « traduction rigoureuse ».

Il semble qu'arrivé ici, il faille poser une autre question : Si la littérature prolétarienne insiste à ce point sur la propagande, et que la propagande doive être intelligible pour la grande masse, pourquoi faites-vous de telles traductions « rigoureuses » et obscures de « formules divines » théoriques ? Votre travail, n'est-ce pas du temps perdu ?

Voici ma réponse : Je traduis pour moi-même, pour quelques-uns qui se considèrent comme des critiques prolétariens et pour quelques lecteurs qui veulent comprendre ces théories et ne recherchent pas l'« agrément », qui ne craignent pas les difficultés.

Il y a eu un nombre considérable d'attaques contre moi ces deux dernières années. Vous trouverez le nom de Lu Xun dans toutes les revues pour ainsi dire et un coup d'œil vous montrera que la plupart des auteurs écrivent comme des hommes de lettres révolutionnaires. Après en avoir lu quelques-uns de leurs articles, j'ai commencé à les trouver vides et dénués de sens. Le scalpel ne parvient pas à percer la peau ; la balle n'arrive pas à blesser mortellement. Ainsi, mon appartenance de classe n'a pas encore été établie. On m'a traité de petit-bourgeois à un moment donné et juste après, de bourgeois ; on m'a même promu au titre de « rejeton du féodalisme », ce qui doit tenir du singe (voyez « Lettre de Tokyo » dans le mensuel Création ). On a trouvé un jour à redire à la couleur de mes dents. Dans une société comme celleci, un rejeton du féodalisme n'est que trop susceptible de se mettre en valeur, mais aucune « conception matérialiste de l'histoire » n'a jamais expliqué pourquoi il devrait ressembler à un singe, ou pourquoi des dents jaunes sont une insulte à la révolution prolétarienne. Aussi, à mon avis, les ouvrages de référence théoriques sur le sujet sont trop peu nombreux, d'où cette confusion générale. Nous ne pouvons éviter de nos jours de disséquer et de dévorer nos ennemis ; mais si nous disposions de livres d'anatomie et de cuisine et que nous nous en inspirions, nous saisirions mieux la structure du corps et produirions quelque chose de plus savoureux. Les révolutionnaires sont souvent comparés au Prométhée de la légende, parce qu'en dépit de la torture que Zeus lui infligea, il avait tant d'amour et de courage qu'il ne regretta jamais d'avoir volé le feu du ciel pour le bien de l'humanité. J'ai dérobé le feu de l'étranger pour cuisiner ma propre chair, dans l'espoir, si le goût en était agréable, que ceux qui en goûteraient en profiteraient, et que mon sacrifice n'aurait pas été fait en vain. J'agissais par pur individualisme, mêlé d'affectation petite-bourgeoise, et par « rancune », qui se manifestait quand je prenais lentement un scalpel et le plongeais dans le cœur de ceux qui m'ont disséqué. « Ils crient vengeance ! » dit M. Liang. « Ils » ne sont pas les seuls. Cela s'applique aussi à pas mal de « rejetons du féodalisme ». Et cependant, je voulais, moi aussi, être de quelque utilité à la société, car les spectateurs auraient au moins aperçu mon feu et ma lumière. Aussi je commençai avec La politique de l'art , parce qu'elle donne le point de vue de diverses écoles.

M. Zheng Boqi tient une librairie aujourd'hui et il a imprimé les pièces de Hauptmann et de Lady Gregory. A l'époque où il était encore un écrivain révolutionnaire et rédacteur en chef d' Art et vie , il s'y moqua de moi pour cette traduction, disant que je ne voulais pas me laisser distancer, mais que malheureusement les autres m'avaient dépassé. Si l'on peut refaire surface grâce à la traduction d'un livre, c'est qu'il est vraiment facile de devenir un écrivain révolutionnaire, ce qui n'entra jamais dans mes intentions. Une publication de peu d'importance décrivit ma traduction de la Théorie de l'art de Plékhanov comme une « capitulation ». Oui, il y a eu de nombreux cas de capitulation. Mais à l'époque, le généralissime Cheng Fangwu s'était extrait des sources chaudes du Japon et avait pris un logement dans un hôtel à Paris, et vers qui donc me serais-je tourné ? Les avis ont changé cette année. Il y a « nouvelle orientation » disent à la fois Le Pionnier et Récits modernes . J'ai lu dans des revues japonaises que ces mots s'appliquent dans un sens flatteur à Teppei Kataoka de l'ancienne école néo-impressionniste . En fait, ces termes confus font partie de nos vieux ennuis – nous nous laissons duper par les mots et refusons de penser par nous-mêmes. Traduire un livre sur la littérature prolétarienne ne suffit pas à montrer l'orientation qui vous est propre, et mal traduit, il pourrait nuire. Je traduis pour ces critiques prolétariens qui passent injustement des jugements hâtifs, parce qu'ils ne recherchent pas l'« agrément » et ont la tâche d'étudier assidûment ces théories.

Et je puis assurer que je n'ai jamais modifié délibérément le sens d'un ouvrage. Je m'esclaffe s'il touche au point sensible les critiques que je méprise. Je m'en accommode s'il me touche au vif. Mais je me refuse absolument à faire des ajoutes ou des coupures, et de là vient que j'ai toujours cru à la « traduction rigoureuse ». A longue échéance, de meilleurs traducteurs se manifesteront inévitablement, qui ne déformeront pas le sens ni ne donneront des traductions « rigoureuses » ou « littérales » ; et lorsque cela sera, mes traductions seront évidemment rejetées. Tout ce que j'essaie de faire, c'est de combler le fossé entre « ne pas avoir » de traductions et « en avoir de meilleures ».

Le papier ne manque pas dans le monde alors que chaque chapelle littéraire est minuscule. Toutes ont des buts grandioses, mais peu de forces, et elles ne peuvent utiliser tout le papier. Lorsque les critiques de chaque groupe, qui ont pour mission d'attaquer l'ennemi, d'aider les amis et de balayer complètement les hérésies, voient quelqu'un gaspiller du papier, ils soupirent amèrement, secouent la tête et piétinent de rage. Le Shen Bao de Shanghai était tellement furieux qu'il décrivit comme étant « chiens et chats » ceux qui traduisent des ouvrages de sciences sociales. Quand M. G.C. Jiang, dont « la position au sein des nouveaux écrivains est connue de tous », se rendit à Tokyo pour un traitement médical, il rencontra Koreto Kurahara, qui lui dit qu'il y avait au Japon des traductions épouvantables, plus difficiles à lire que l'original... M. Jiang répliqua en souriant :

En Chine, traduire tient plus encore de la farce. Beaucoup de nos livres récents sont traduits du japonais, et si les Japonais ont commis des erreurs, fait des coupures ou apporté des modifications en traduisant un auteur européen, vous imaginez à quel point le livre aura été modifié lorsque le japonais aura été traduit en chinois ! ( Le Pionnier )

Cela montre son mécontentement vis-à-vis de la traduction, particulièrement de la double traduction. Mais tandis que M. Liang cite les livres et fait remarquer leurs fautes, M. Jiang se contente de sourire et fait table rase, ce qui est bien plus catégorique. Personnellement, je dois beaucoup à Kurahara, qui a traduit beaucoup de romans et d'ouvrages sur la théorie de l'art à partir du russe. Je souhaite que la Chine ait un ou deux traducteurs du russe de sa probité, pour présenter systématiquement de bons livres, au lieu de penser que les écrivains révolutionnaires font leur devoir quand ils traitent les autres de « vauriens » !

Mais, en ce moment, pas plus que le grand homme qui traite les autres de « chiens et chats », M. Liang Shiqiu ne traduit ce genre d'ouvrages. M. Jiang, qui a étudié le russe, est hautement qualifié pour cette tâche, malheureusement, depuis qu'il est malade, il n'a donné qu' Une semaine , dont deux traductions ont déjà paru au Japon. Il a beaucoup été question en Chine de Darwin et de Nietzsche, jusqu'à ce qu'ils aient attrapé une dégelée pendant la guerre mondiale ; mais il n'existe encore qu'une seule traduction de Darwin et la moitié d'un ouvrage de Nietzsche traduit ; les lettrés et les gens de lettres qui ont étudié l'anglais et l'allemand n'ont pas le temps ou estiment la traduction indigne d'eux et la délaissent. Je crains que tout ce qu'il nous reste à faire, c'est de laisser les autres se moquer de nous ou nous insulter, mais de continuer à traduire du japonais, ou à faire des traductions littérales à partir de l'original et à l'aide de la version japonaise. J'ai l'intention de continuer à agir ainsi, et j'espère que d'autres feront de même, afin de combler le vide de nos discussions sublimes, parce que nous n'estimons pas cela « une farce » comme M. Jiang et que nous ne sommes pas « disposés à attendre » comme M. Liang.

VI

J'ai écrit plus haut qu'« une des caractéristiques du Cercle Croissant de lune », c'est la manière dont il se vante d'être dur alors qu'en fait, il est mou comme du coton. Il me faut développer cette affirmation pour terminer cet article.

Quand parut Croissant de lune , il était pour « une attitude sérieuse », encore qu'il insulte ceux qui l'insultent et raille ceux qui le raillent. Rien de mal à cela. Il les paie simplement de retour ; et bien que ce soit un signe de « rancune », il n'y a là rien de personnel. L'avertissement du double numéro 6-7, volume II, dit : « Nous demeurons tous “tolérants” (si ce n'est que nous ne tolérons pas l'“intolérance”), nous apprécions toutes les théories pondérées, rationnelles. » Rien de mal non plus avec ces deux dernières phrases. « Œil pour œil, dent pour dent » répond aux principes énoncés au début. Mais dès qu'on est engagé dans cette voie, on rencontre inévitablement des gens qui « opposent la violence à la violence », et cela, les « théories pondérées » si chères à ces messieurs du Cercle Croissant de lune, ne peuvent le tolérer.

La liberté d'expression du Cercle Croissant de lune a été étouffée. A en juger par son vieux règlement, il devrait réprimer ceux qui le répriment, mais au lieu de cela, il réagit par un article dans le Croissant de lune intitulé : « Lettre à ceux qui répriment la liberté de parole ». Il cite d'abord les principes de la partie adverse, puis des lois étrangères, et finalement des exemples historiques d'Orient et d'Occident, pour montrer que finissent par périr tous ceux qui suppriment la liberté – c'est un avertissement à la partie adverse.

Ainsi, en dernière analyse, l'« attitude sérieuse » du Cercle Croissant de lune et ses méthodes pour exiger « œil pour œil » ne sont utilisées qu'en vers des ennemis de même force ou moins forts. Si un plus fort lui fait un œil au beurre noir, celui-ci est l'exception, il se couvre tout simplement la face et crie :

– Gare à votre œil !


[1] Le caractère liang signi fie pont, passerelle.

[2] Les Mémoires historiques et l' Histoire des Han datent de l'époque de la dynastie des Han.

[3] L'héroïne du Rêve dans le pavillon rouge . Jiao Da est l'un des serviteurs. W5XZK1WPNX7usWfhF3mpsgBXdaVaBGLQDKblpexccivfW9crxGSi1xK5x7H3EuO+

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