C'est dans le Shen Bao du 6 avril qu'il y avait une « Lettre de Changsha » décrivant la capture du comité provincial du Parti communiste par les autorités du Hunan, qui condamnèrent trente des membres à la peine de mort et en exécutèrent huit le 29 mars. L'article est si bien rédigé que je le cite.
Toute la ville sortit dans la rue ce jour-là après l'exécution et parce que trois femmes figuraient parmi les prisonniers : Ma Shuchun, âgée de seize ans, Ma Zhichun, âgée de quatorze ans, et Fu Fengjun, âgée de vingt-quatre ans. La foule était telle que l'on avait peine à avancer. Et le nombre des spectateurs ne faisait que croître parce que la tête du dirigeant communiste Guo Liang était exposée à la Porte du Tribunal. Entre cette Porte et le Pavillon octogonal, il y avait encombrement. Lorsque les citoyens du côté de la Porte du Sud avaient vu la tête de Guo Liang, ils allaient à l'Association des Instituteurs pour voir les cadavres des femmes. Lorsque les citoyens du côté de la Porte du Nord avaient vu les cadavres des femmes à l'Association des Instituteurs, ils allaient voir la tête de Guo Liang à la Porte du Tribunal. Toute la ville était en émoi et un nouvel élan était imprimé à la nécessité d'exterminer les communistes. Il fallut attendre le crépuscule pour que les spectateurs se mettent à se disperser.
Copie terminée, je me rends compte que j'ai gaffé. Je tenais simplement à faire quelques remarques, mais je m'aperçois que je serai probablement suspecté d'avoir ricané (certains prétendent que je ne fais jamais que ricaner). D'autres m'accuseront de continuer à noircir et en conséquence me condamnent à la destruction, afin que j'emporte toutes les noirceurs sous la terre. Comme je ne sais pas me taire, je cantonnerai mes remarques à « l'art pour l'art », et je vous fais grâce de mes autres observations. Quelle puissance dans ce bref compte rendu ! Je voyais, en le lisant, la tête piquée sur la Porte du Tribunal et les trois cadavres de femmes décapitées à l'Association des Instituteurs. Ils devaient avoir été dénudés jusqu'à la ceinture pour le moins – je me trompe peut-être, à cause de mon côté décadent. Et ensuite, tous ces « citoyens », une armée allant vers le sud, une autre allant vers le nord, se bousculant et criant... Je pourrais dire aussi les détails, l'attente du ravissement sur certains visages, la satisfaction sur d'autres. Je n'ai jamais rencontré écriture aussi puissante dans toute la littérature « révolutionnaire »ou « réaliste » que j'ai lue. Le critique Rogatchevsky disait : « Andreïev s'évertue à nous faire peur, sans succès ; tandis que Tchékhov qui n'essaie pas, nous fait frissonner ». Oui, cette bonne centaine de mots vaut tout un tas de contes, sans parler de l'authenticité de la description.
Un moment, encore. Je crains, si je continue, que certains héros ne me condamnent pour avoir répandu les ténèbres et entravé la révolution. Ils ont leurs raisons de penser ainsi ; il est facile d'être soupçonné aujourd'hui, alors que les journaux regorgent de récits sur l'arrestation ou la remise en liberté de loyaux camarades suspectés d'être des Rouges. Si vous êtes malchanceux et si vous ne parvenez pas à vous disculper, ce sera vraiment dommage... Rabâcher un tel sujet peut porter atteinte au moral des hommes forts, mais il est rare que l'exhibition de têtes ait fait reculer la révolution. Elle ne touche probablement à sa fin que lorsque les opportunistes rejoignent ses rangs et qu'ils la minent de l'intérieur. Je ne fais pas seulement allusion au bolchevisme, mais aux révolutions de tous les « ismes » possibles. Cependant, n'est-ce pas précisément parce qu'ils se trouvent dans les ténèbres et qu'ils ne voient pas de porte de sortie que les hommes veulent faire la révolution ? S'il faut assurer un « brillant avenir » et une « porte de sortie » avant qu'ils joignent ses rangs, loin d'être des révolutionnaires, ils ne valent pas les opportunistes. Car même les opportunistes ne peuvent dire d'une entreprise si elle réussira ou échouera.
Je veux, pour conclure, étaler un petit peu plus de noirceur en disant : les citoyens de la Chine d'aujourd'hui (d'aujourd'hui ! et non transcendantale) ne se soucient pas de partis politiques – tout ce qu'ils veulent y voir, ce sont des « têtes » et des « cadavres de femmes ». Qu'importe de qui ils sont, s'il s'en trouve de disponibles, nos concitoyens iront y jeter un coup d'œil. J'ai vu et entendu parler de bien des cas de ce genre au cours de la brève période des vingt dernières années : du Soulèvement des Yihetuan, de la répression vers la fin de la dynastie des Qing, des Evénements de 1913 , de ceux de l'année dernière et de ceux de cette année.
10 avril 1928