Le Shen Bao du 6 avril donnait la nouvelle que voici :
Ces derniers jours, une rumeur sans fondement circulait à Nanjing sur les travaux du Mausolée Sun Yat-sen qui seraient presque terminés et sur ce que les maçons captent des âmes d'enfants pour obturer la gueule du dragon. Les gens de Nanjing s'effraient mutuellement en répandant cette rumeur et chaque enfant a sur l'épaule gauche un carré de tissu rouge portant un quatrain incantatoire destiné à éloigner le danger. Les incantations semblent être au nombre de trois :
Que celui qui mande mon âme,
Prenne la place de mon âme.
Si, à son appel, nul ne répond,
Qu'il remplisse lui-même la tombe.
La pierre appelle le moine de pierre,
Qu'elle s'installe donc à sa place.
Regagne la maison aussi vite que tu peux,
Sinon c'est sur toi que la tombe se fermera.
Tu as bâti le Mausolée Sun Yat-sen,
En quoi cela me regarderait-il ?
Mon âme n'ira pas à ton premier appel,
Et au second, tu iras toi-même.
Chacune de ces incantations, pour brèves qu'elles soient, nous décrit admirablement le point de vue du citoyen sur son gouvernement « révolutionnaire » et son attitude envers les révolutionnaires. Même des écrivains habiles à exprimer les ténèbres de notre société pourraient difficilement écrire de manière plus concise et profonde.
Si, à son appel, nul ne répond,
Qu'il remplisse lui-même la tombe.
Telle est la vie de beaucoup de révolutionnaires et telle est l'histoire de la révolution chinoise.
Des écrivains insistent pour dire que nous sommes présentement dans « la période qui précède l'aube ». Mais puisque nos concitoyens sont ainsi, peu importe qu'il s'agisse de l'aube ou du crépuscule, les révolutionnaires continueront à agir à leur insu. Nous ne pouvons les laisser de côté et ils ne représentent néanmoins rien de valable. Mais au train dont vont les choses, il n'est pas sûr que nous trouvions une porte de sortie dans cinquante ans et plus.
Des écrivains révolutionnaires ont témoigné récemment d'une crainte toute spéciale des ténèbres, qu'ils ont essayé de cacher, mais nos concitoyens se sont tout bonnement trahis par leur comportement. Et les écrivains révolutionnaires n'osent pas regarder la vie en face quand la fourberie se heurte à l'indifférence crasse, ils deviennent alors de vieilles radoteuses qui apprécient la pie et craignent le hibou. Se grisant de quelques heureux présages choisis, par eux, ils pensent qu'ils ont transcendé leur époque.
Félicitations ! Que les grands hommes aillent de l'avant ! Cette époque que vous avez rejetée avec tout son réalisme vous raccompagnera respectueusement.
Elle existe, néanmoins, en dehors de vous. Vous avez tout bonnement fermé les yeux. Et les fermant, vous ne serez plus obligés de « remplir la tombe », et c'est là votre « victoire finale » !
10 avril 1928