La chose effrayante avec les écrivains chinois d'aujourd'hui, c'est qu'ils adoptent continuellement de nouveaux termes dont ils ne fournissent pas de définitions.
Et chacun de les interpréter à sa manière. Ecrire longuement sur vous-même est expressionniste. Ecrire sur les autres est réaliste. Ecrire des poèmes sur les jambes des jeunes filles est romantique. Interdire les poèmes sur les jambes des jeunes filles est classicisme. Tandis que
Une tête tombe du haut du ciel,
Un bœuf se tient debout sur cette tête,
Mais sapristi,
Des éclairs verts courent sur la mer !est du futurisme... et ainsi de suite.
De là, des discussions. Cet « isme »-ci est bon, celui-là est mauvais... et ainsi de suite.
Les gens de la campagne racontent une histoire sur deux myopes qui voulaient décider qui des deux possédait la meilleure vue. Comme ils ne pouvaient fournir de preuve, ils convinrent d'aller ensemble regarder un nouvel ex-voto qui devait être accroché ce jour-là dans le temple. Mais chacun de son côté se rendit chez le vernisseur pour découvrir ce que serait l'inscription. Et chacun obtint une version légèrement différente, celui qui ne distinguait que les gros caractères ne voulut pas s'avouer vaincu et accusa de mensonge celui qui ne distinguait que les petits caractères. Et comme, une fois de plus, aucun des deux ne pouvait prouver qu'il avait raison, ils firent appel à un passant. Celui-ci regarda et leur dit :
– Il n'y a rien. L'ex-voto n'a pas encore été apposé.
Je crois qu'il nous faut accrocher l'ex-voto avant de pouvoir rivaliser en qualité de critiques littéraires. Car les deux parties intéressées sont les seules à savoir qu'elles discutent pour rien.
10 avril 1928
Le Shen Bao du 25 mars donnait un article du professeur Liang Shiqiu sur J.-J. Rousseau, où il est dit que citer l'attaque lancée contre I. Babbitt par Upton Sinclair équivaut à « assassiner par personne interposée » et n'est « pas nécessairement la meilleure méthode ». Sa deuxième raison d'attaquer Rousseau, c'est que « l'immoralité de Rousseau est le type même de la manière de se conduire de la plupart des écrivains libéraux et c'est pour cela que nous pouvons dire qu'attaquer la morale de Rousseau, c'est attaquer la conduite de ces hommes ».
Ce n'est pas « assassiner par personne interposée », c'est « emprunter une tête pour l'exhiber en guise d'avertissement ». Si Rousseau n'avait pas été « le type même de la manière de se conduire de la plupart des écrivains libéraux », sa tête n'aurait jamais été amenée d'aussi loin pour être exhibée en Chine. Nos « écrivains libéraux » ont outragé leur maître lointain et troublé son repos dans sa tombe. Il est puni aujourd'hui pour l'influence pernicieuse qu'il exerce, non pour les fautes qu'il a commises – ce qui est bien triste !
Ce qui précède n'est pas fort « respectueux », car, après tout, ce professeur Liang s'est contenté de punir avec sa plume, il n'a pas insisté pour que la tête de Rousseau soit exhibée. J'ai abordé le sujet, et cela, parce que le Shen Bao aujourd'hui rapporte comment le communiste Guo Liang « a subi la peine capitale » dans le Hunan, comment sa tête a été exhibée « dans tout Changsha et Yueyang ». Les autorités du Hunan n'ont malheureusement pas enregistré et placardé en même temps tous les crimes de lèse-moralité de Lénine (ni, pour remonter un peu plus loin, ceux de Marx, et plus loin encore, ceux de Hegel), afin d'apporter la preuve de son influence pernicieuse. Le Hunan souffre apparemment d'un manque de critiques.
Je me rappelle avoir lu dans le Roman des Trois Royaumes que quelqu'un pleura la mort de Yuan Shao avec le poème que voici :
Saluant, il partit, le sabre à la main,
Le plus vaillant des hommes de son époque.
La tête tranchée vola à dix mille li s,
Vous avez mal agi en tuant Tian Feng .
J'ai aussi écrit une lamentation sur Rousseau au cours de mes « triples loisirs » :
Tête nue, il partit, la plume à la main,
Le plus misérable des hommes de son époque,
La tête tranchée vola à dix mille li s,
Vous avez mal agi en formant la jeunesse.
10 avril 1928